DUNKERQUE MIL NEUF CENT QUARANTE
Ma Ville à moi n’est plus ! L’âme du vieux beffroi
S’est échappée un jour comme s’envole un songe !
Après avoir souffert de guerre et de mensonge
Elle a péri soudain de terreur et d’effroi.
Ma Ville à moi n’est plus ! Bonne Ville d’antan
Elevant aux cieux ses clochers de dentelle,
Sous de vieux marronniers abritant sa Chapelle
Et qui se consuma sous les feux de Satan
Achevant des brasiers jusqu’en sa Citadelle.
Ma chère Ville est morte ! Par toute la Cité
Ce ne fut plus qu’amas de ruines désolantes
Où la Mort se lovait sur des cendres brûlantes,
Immolant trop de corps en sa férocité
Près des temples sacrés et des tours chancelantes.
Ville de mon Enfance où, presque en même temps
Les âmes s’envolaient, fuyant à tire d’ailes
L’hiver et les autans comme les hirondelles
Qui craignent la tempête et suivent le Printemps
Aux paisibles séjours, actives et fidèles.
Ma Ville a disparu ! Ville du Souvenir…
Venelles en lacets… gros pavés de grès rose…
Sur un quai le pêcheur taciturne et morose…
Et sur la Place enfin, tourné vers l’Avenir
Dressé dans sa vaillance et fuyant la nécrose,
Dans ma Ville perdue, un fier Jean Bart d’airain
Sous les cieux embrasés plonge son cimeterre ;
Sur le pavé cendreux, en fleurs, un fumeterre
Tandis que sur des morts s’écroule un souterrain,
Sinistre sépulture entrouvrant son cratère.
Ilot de ma jeunesse où vogue un souvenir
Et rôdent cent regrets, bien étrange Carthage
Que des corbeaux géants déchiraient sans partage,
Où jamais plus hélas je n’allais revenir
Regrettant du passé le sublime héritage !